Première victime du dopage ? Knud Enemark, cycliste danois mort en course à 23 ans, en 1960.
En 1992, Katrin Krabbe, célèbre sprinteuse de l'ex-R.d.a., accusée de tricherie au contrôle antidopage par la fédération allemande, est suspendue pour quatre ans. Elle dénonce un règlement de comptes Est-Ouest!
Scandale en 1988 : le Canadien Ben Johnson est contrôlé positif aux anabolisants. Il est destitué de son titre de champion olympique du 100 mètres - couru en 9'79 à Séoul - au profit de l'Américain Carl Lewis.
"Un sportif est toujours convaincu que les autres se droguent. Qu'il devrait faire comme eux pour être à la hauteur"

Paris Match. Ceux qui vous craignent affirment que vous voyez des dopés partout?

Jean-Pierre de Mondenard. C'est vrai. Et il y a vingt-cinq ans que ça dure. Avec une passion quasi enfantine pour le sport, je ne supporte pas la triche ni le poison. Médecin, j'ai suivi plusieurs fois le Tour de France, j'ai travaillé à l'Institut national des sports, mais j'ai quitté ce milieu quand j'ai compris que les dirigeants, ceux du cyclisme en particulier, attendaient que j'organise des contrôles fictifs.

P.M. Les entraîneurs de football ont toujours affirmé que le dopage n'existait pas dans les sports collectifs...

J.-P.M. Dès 1979, dans un article que j'ai publié dans "Le quotidien du médecin", j'ai tenté d'alerter les responsables du foot. On ne trouvait alors aucun joueur positif tout simplement parce que les contrôles étaient très rares et organisés pour que tout le monde passe au travers. Pourtant, déjà en 1958, une étude faite en Italie démontrait que 68% des joueurs du Calcio prenaient des hormones. Aujourd'hui, la liste des sportifs qui, depuis deux ans, se sont fait coincer montre que la nandrolone est un anabolisant à la mode. C'est elle qu'on a retrouvée dans l'urine des cinq footballeurs contrôlés positifs depuis six mois, comme dans celle du champion olympique de judo Djamel Bouras et, semble-t-il, du handballeur du P.S.G., Christophe Zuniga. La nandrolone est toujours en vente puisqu'elle existe dans la composition de quelques rares médicaments qu'on trouve encore, sous prescription, en pharmacie. Cela explique sa vogue.

P.M. Pourquoi cette soudaine vague de dopage dans le foot?

J.-P.M. C'est simple, la drogue n'est pas nouvelle. Ce sont les contrôles qui sont plus sérieux. Avant, on ne trouvait rien puisqu'on ne cherchait rien dans le foot ou dans le rugby. Il y a quinze ans, j'ai passé une soirée avec un très grand international de rugby. Il m'a montré les "vitamines" qu'un médecin donnait aux joueurs. C'était du Captagon, une amphétamine pure! Dans le XV de France, on pouvait donc être drogué sans le savoir. Récemment encore, les joueurs de foot, désignés par tirage au sort pour être contrôlés, étaient prévenus à la mi-temps. Tous les autres pouvaient donc prendre des amphétamines ou de la cocaïne pour la seconde moitié du match. Dans le rugby, ce mode de contrôle est encore plus incroyable, puisque le tirage au sort des contrôles n'a pas lieu à la mi-temps mais avant le match. Aussi, les vingt-six joueurs non contrôlés peuvent se doper pour toute la partie.

P.M. Donc, selon vous, l'impossibilité qu'il y aurait à se doper dans les sports collectifs, parce qu'ils exigent des gestes précis, c'est un mensonge.

J.-P.M. Bien sûr. Aux Etats-Unis, vous trouvez des joueurs de basket ou de base-ball, où la précision est capitale, qui craquent et avouent: "Quand je suis sous cocaïne, j'ai la clé du match!" Dans le football, la cocaïne "bien dosée" est un produit qui vous transforme en lion. Les anabolisants, eux, sont un dopant "de fond", de longue haleine. Ils font courir plus vite et plus longtemps, sauter plus haut. Entre deux matchs, le dopé à la nandrolone va récupérer plus vite, soigner plus rapidement ses blessures.

P.M. Sanctionner des joueurs comme Lama ou Barthez parce qu'ils ont fumé un joint, c'est quand même ridicule!

J.-P.M. Non, si on connaît la définition du dopage. Quand un joueur est angoissé avant d'entrer dans le stade, s'il prend du cannabis, il y va sans crainte. C'est pour cela que le "H" est interdit. Le sport ne punit pas l'acte social, la "fumette", mais l'efficacité du produit. Avant d'entrer dans l'arène, certains toreros prennent de la marijuana pour se donner du courage. Ce qui est rigolo, c'est que, dans le même temps, on donne aussi de l'"herbe" au taureau pour le calmer!

P.M. Oui, mais des hommes aussi solides que Barthez ou Lama...

J.-P.M. Tout sportif de haut niveau est un angoissé, quelqu'un de fragile. Un jour, à l'I.n.s., je m'occupais d'un stage de l'équipe de France de judo. J'étais harcelé par un immense champion qui me disait: "Il faut que nous prenions la même `chose' que les Russes, en dehors des vitamines B 15..." C'était pourtant un honnête homme. Et, finalement, il n'a rien pris. Un sportif est toujours convaincu que "les autres" se droguent. Que, pour être à égalité, il doit faire comme eux! Quand je suivais les courses de vélo, au moment du petit déjeuner, de grandes stars me montraient les dopants, les corticoïdes qu'elles ingurgitaient. Ces athlètes savaient que leur détection était impossible. Comme je ne suis pas flic, je ne disais rien. Sauf de leur crier "au fou!". Je comprends très bien cette angoisse des sportifs. Elle ne cessera que le jour où la drogue sera vraiment chassée du sport. Quand il n'y aura plus de doute sur l'égalité des chances. Il faut donc en arriver au dépistage infaillible.

P.M. Pour en revenir à la nandrolone, ce n'est pas un médicament banal que l'on trouve dans les barres énergétiques?

J.-P.M. Ceux qui disent ça sont des irresponsables. Pour obtenir de la nandrolone, il faut une ordonnance. Ce médicament n'existe qu'en collyre ou sous une forme injectable. En revanche, avec une prescription, ce produit, qui existe en comprimés chez les vétérinaires, peut être ingéré par l'homme. Normalement, cette nandrolone soigne la maigreur, les brûlures, les escarres, l'ostéoporose. Mais aujourd'hui d'autres remèdes plus efficaces ont été mis au point. Donc, quand un pharmacien vend de la nandrolone, c'est le plus souvent à un sportif qui veut se doper.

P.M. Comment imaginer que Vincent Guérin et les autres sportifs sur la sellette se soient fait des piqûres?

J.-P.M. Je n'imagine rien. En effet, il faudrait être bien inconscient pour se piquer puisque les traces de l'anabolisant restent huit mois dans le corps! En revanche, en dehors des comprimés vétérinaires dont je parlais, il est possible de boire ces ampoules normalement injectables. C'est moins efficace, mais ça marche! Cette fois, les résidus de nandrolone s'effacent beaucoup plus vite de l'organisme. C'est ce que faisaient les entraîneurs d'Allemagne de l'Est. Ils cassaient les ampoules dans des verres de lait.

P.M. Selon vous, les dirigeants et les sportifs qui crient leur innocence, ou à la machination, à l'erreur judiciaire, jouent la comédie?

J.-P.M. Ce qui se passe me trouble. Pour aller au fond des choses, il faut se demander si l'organisme de certains hommes ne produit pas naturellement de la nandrolone. Cette fois, les techniques d'analyse, de plus en plus fines, permettraient de mesurer cet anabolisant originel. Les biologistes disent que ce n'est pas possible. Que seules les femmes enceintes ont de la nandrolone naturelle dans le corps... Mais, en matière de dopage, les biologistes se sont trop souvent trompés. Ils n'ont jamais tenu compte des êtres "phénoménaux", des exceptions dont les sécrétions ne sont pas identiques à celles du commun des mortels.

P.M. Et c'est vous, le "Saint-Just du sport sans drogue", qui donnez des arguments de défense aux présumés dopés!

J.-P.M. Effectivement, je me suis occupé de deux cas très intéressants. Cyril Sabatier était champion de France junior de cyclisme. Un jour, il se fait "prendre" à la testostérone. Et jure qu'il n'a rien ingurgité. Sa fédération le sanctionne. Désespéré, il arrive à mon cabinet. Je refais faire une étude sérieuse et je découvre que c'est un "dopé naturel". J'ai fait la même expérience avec Julien Bonétat, champion de France de squash. En bannissant ces deux sportifs, on avait condamné des innocents. Chez l'homme, le rapport entre la testostérone et l'épitestostérone est de 1, avec un maximum généralement connu de 6. Les biologistes ont donc déclaré que, "au-dessus de 6, on est dopé." Manque de chance, Sabatier et Bonétat, comme d'autres sans doute, dépassaient naturellement le seuil de 6. Pendant ce temps, un sportif qui, lui, a un rapport naturel de 1 peut se doper jusqu'à atteindre la frontière de 6, sans être déclaré positif! C'est ce qui se faisait, là encore, en Allemagne de l'Est. Heureusement, grâce au C.n.r.s., on arrive maintenant à distinguer l'hormone naturelle de celle de synthèse, celle prise par les dopés. Mais cette recherche n'est pas encore devenue une routine. Je cite encore le cas de Komen, recordman du monde du 3 000 mètres, dont l'organisme produit naturellement trop de caféine!

P.M. A propos d'Antoine Sibierski, son joueur pris dans le filet, Guy Roux s'étonne qu'un homme qui a perdu du poids ait absorbé des anabolisants.

J.-P.M. Guy Roux connaît le foot mais pas la médecine. Les anabolisants sont le dopage de l'entraînement, celui qui produit ses fruits à long terme. Il n'améliore la masse musculaire que si l'athlète se gave de viande et, puisqu'on est à Auxerre, de poulets. Ce que le grand public ignore, c'est que les marathoniens qui pèsent parfois 20 kilos de moins que la norme prennent des anabolisants. Aux J.o. de Los Angeles, Martti Vainio, l'athlète le plus maigre du plateau, deuxième du 10 000 mètres, a été contrôlé positif. Il se droguait avec le même produit que celui utilisé par Ben Johnson.

P.M. Que faire pour savoir si Guérin, Bouras et les autres sont dopés ou non?

J.-P.M. Il faut faire comme Sabatier et Bonétat, ouvrir un chantier. Faire une recherche au fond, inattaquable, et on obtiendra la vérité. Aujourd'hui, les procédures des contrôles sont trop rapidement validées. Sans que l'on ait exploré toutes les bizarreries de la chimie humaine. Il faut multiplier les crédits, prendre de bons chercheurs et les isoler du monde sportif. Il faut absolument que la lutte contre la drogue dans le sport échappe aux organisateurs de la compétition, du spectacle. Il faut des incorruptibles. Et mettre au rancard le refrain de Coubertin "plus vite, plus haut, plus fort". C'est une incitation au dopage. L'argent et la professionnalisation du sport, avec son obligation de résultats, poussent à la triche. Si le vélo a été le premier sport qui ait connu le dopage, c'est qu'il a été la première discipline professionnelle. Au début du siècle, on a vu les margoulins, qui jusque-là droguaient les chevaux, arriver dans les vélodromes! Mais qu'on ne vienne pas me parler d'une lutte sérieuse contre les pourvoyeurs de drogue: en kiosque, vous pouvez acheter un magazine qui vante "l'anabolisant du mois" et propose l'achat d'un manuel du dopage... De temps en temps, la lutte contre le dopage est un thème qui redevient à la mode. Hélas! ceux qui en parlent sont souvent incompétents et parfois même complices avec les diables du "sport sale".

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