Dopage: toujours plus

Juin 1996. Quelques semaines avant les jeux Olympiques, Sciences et Avenir ouvrait le dossier du dopage dans le sport. Pour la première fois, étaient détaillées les pratiques et surtout la nouvelle chimie qui allaient permettre aux concurrents de passer à travers les contrôles antidopage. L'histoire nous a donné raison. Seuls quelques athlètes de l'Est se sont fait attraper. Jouant sur les règlements internationaux, ils ont finalement été blanchis.

Les JO de cette fin de siècle devaient être les plus propres de l'histoire. A peine la flamme éteinte, tous les observateurs affirmaient qu'Atlanta n'avait été qu'un show planétaire à la gloire triomphante de la reine chimie et du roi dollar.

Depuis, les articles sur le dopage n'ont cessé de se multiplier. Dans le collimateur, le cyclisme et son produit phare, l'érythropoïétine (Epo).

A l'origine de cette tempête, la peur qui s'insinue dans le peloton. Le dopage aurait tué une vingtaine de coureurs. L'analyse montre qu'il faut manipuler ces chiffres avec précaution. En fait, seize cyclistes seraient morts de façon suspecte au cours des vingt dernières années. Des décès survenus hors compétition. Accusée, l'Epo qui, multipliant les globules rouges pour faciliter l'oxygénation des tissus, épaissit le sang et entraîne des accidents cardiaques et cérébraux irrémédiables. Probable, mais pas certain : aucune étude médicale sérieuse, aucune autopsie n'a confirmé officiellement cette hypothèse.

Autre source de peurs et de rumeurs, le cancer des testicules d'un coureur de premier plan, Lance Armstrong. Tous les cyclistes y voient un lien étroit avec le dopage. Officiellement pourtant, il n'y aurait aucune relation, ce type de maladie ­ rare à cet âge ­ pouvant frapper n'importe quel homme avant 30 ans, sportif ou pas.

Si les coureurs craignent pour leur vie, l'encadrement sportif comme les fédérations nationales et internationales redoutent un scandale qui pourrait se terminer devant les tribunaux.

Pour faire face à cette tempête, l'Union cycliste internationale a décidé de pratiquer, pour la première fois dans l'histoire du sport, des tests antidopage à partir de prélèvements sanguins. Mais cette révolution n'est qu'une apparence. Une règle universelle régit en coulisse le sport de compétition : « les "dopeurs" ont toujours une molécule d'avance ». Aujourd'hui comme hier, cette règle reste vraie. Et la guerre contre l'Epo, qui s'engage avec les tests sanguins, semble perdue avant même d'avoir commencé. Les dopeurs ont déjà trouvé les produits de substitution (lire p. 66).

L'ombre de la maladie de Creutzfeldt-Jakob

Mais il y a encore plus préoccupant. Dans l'enquête « Dopage, toujours plus », que nous avons conduite pour le magazine de France 2 Envoyé spécial, nous avons fait la relation entre l'hormone de croissance ­ à l'origine du décès de 50 enfants en France traités pour nanisme ­ et le sport de haut niveau. Cette hormone, extraite de l'hypophyse de cadavres, a été utilisée dans les compétitions d'athlétisme dès les années 70 et dans le Tour de France dès 1985. Depuis 1987, l'hormone est fabriquée par synthèse, mais l'hormone extractive, provenant d'Allemagne et d'ex-URSS, aurait circulé sur le marché noir au moins jusqu'en 1992. (lire p. 67).

Autre découverte, le fléau des drogues dures. Jusqu'à ces dernières années, la France n'avait pas de réelle politique sportive. Le changement de stratégie s'est avéré payant à Atlanta et les médailles dégringolent. Mais ces performances ont un prix tangible. Les centres d'accueil spécialisés reçoivent de plus en plus d'athlètes « accrochés » à l'héroïne. D'un phénomène marginal, nous sommes passés insensiblement à un phénomène de groupe. Les professionnels tirent aujourd'hui la sonnette d'alarme (lire p. 68).

Décès suspects, risques de cancers et de maladie de Creutzfeldt-Jakob, drogues... Le sport de haut niveau perd de sa magie dès que l'on regarde en coulisses. Les compétitions font rêver des milliards de spectateurs et tous préfèrent ignorer que le gagnant est souvent le meilleur des dopés. Ce show planétaire pourrait continuer en toute hypocrisie si la vie des sportifs n'était en jeu. Une année d'enquête ne nous a pas permis de trouver des cas de décès par anabolisants. Officiellement, il n'existe aucune victime authentifiée de la chimie sinon quelques culturistes morts pour avoir trop pris de diurétiques (voir Sciences et Avenir n° 593).

Qu'en penser ? Ou les anabolisants sont moins nocifs qu'on le dit. Cette intox ne servirait alors qu'à maintenir l'illusion du public sur la volonté des instances sportives à préserver les valeurs du sport « propre ». Ou les victimes existent et sont cachées. Une situation qui ne peut perdurer qu'avec la complicité étroite des instances sportives et médicales nationales et internationales. En toute hypothèse, le public a le droit de savoir. Des études d'évaluation doivent être rapidement entreprises. Pour la santé des athlètes. Et pour mettre un terme à la loi du silence.

Georges Golbérine
directeur de la rédaction.

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