Les magistrats semblent décidés à faire la lumière sur les
pratiques «médicales» de la Grande Boucle. Si le grand déballage n'a pas lieu après
le 2 août, gare! Quelle image gardera-t-on de l'homme qui,
dimanche 2 août, sur les Champs-Elysées, revêtira le dernier maillot jaune du 1998?
Celle du vainqueur de ce qui restera comme le «Tour du dopage»? Si, comme l'affirme
Gérard Nicolet, ancien médecin du on «s'approche de plus en plus du ``tous dopés''»,
comment croire que la beauté et la crédibilité du sport ne sortent pas entachées d'une
épreuve presque plus judiciaire que sportive? Perquisitions aux étapes dans les hôtels
occupés par les équipes, mises en examen de dirigeants, confrontations et, pour la
première fois, interrogatoires de coureurs: l'affaire Festina a même réveillé les
ardeurs de magistrats de Reims venus perquisitionner sur le Tour à la suite d'une saisie
de produits dopants datant du mois de... mars.
Les coureurs vont-ils être emportés dans cette tourmente judiciaire?
Un grand pas, sur le plan psychologique, a été franchi à la fin de la semaine
dernière: plusieurs membres de l'équipe Festina ont reconnu s'être dopés. En garde à
vue dans les locaux de l'hôtel de police de Lyon, Laurent Brochard, champion du monde
1997, Alex Zülle et Laurent Dufaux ont avoué avoir eu recours à l'EPO, ce fameux
produit indécelable qui augmente le taux de globules rouges dans le sang. «Les coureurs,
les dirigeants sportifs, les organisateurs, les fonctionnaires, les journalistes savent, a
déclaré Alex Zülle. En tant que coureur, on se sent pris dans le système.» Le
champion suisse a donc absorbé de l'EPO, au moins depuis son arrivée dans l'équipe
Festina, en janvier. «C'était ma libre décision», a-t-il toutefois précisé.
Confrontés à l'agenda du soigneur, aux fiches nominatives du médecin et à des
prélèvements de cheveux, plusieurs autres coureurs de l'équipe ont, eux aussi, craqué.
Seul leur leader, Richard Virenque, a nié s'être dopé. «Je ne serais pas surpris si
cela déclenchait une avalanche, a affirmé son coéquipier Armin Meier. L'Union cycliste
internationale doit suspendre bien plus de 100 coureurs après le Tour.» Les auditions
des coureurs ont été transmises au juge d'instruction lillois Patrick Keil.
Certes, la loi antidopage du 28 juin 1989 exclut qu'ils soient
poursuivis pour «utilisation» de produits dopants. Mais les champions de Festina
risquent d'être inquiétés à cause du financement du dopage. Lors de sa confrontation
avec le médecin belge Eric Ryckaert et le soigneur Willy Voet, vendredi 24 juillet, à
Lille, Bruno Roussel, directeur sportif de l'équipe, a confirmé qu'une partie des gains
des coureurs avaient été prélevés pour alimenter une «caisse noire». De son côté,
le Dr Ryckaert a nié avoir fourni de l'EPO aux cyclistes, laissant entendre que les
produits provenaient non pas de Belgique mais d'Espagne et du Portugal. Une filière dont
l'existence a été confirmée par Willy Voet. Du coup, le juge lillois pourrait entendre
le second médecin des Festina, l'Espagnol Jimenez Diaz, absent du Tour. D'autres
investigations, visant à percer le mystère de la caisse noire de l'équipe, pourraient
aussi mener les enquêteurs à s'intéresser à la société Prosport, installée en
Andorre. C'est en effet cette dernière qui collecte l'argent des différents sponsors et
verse leurs salaires aux coureurs. L'équipe Festina résistera-t-elle à cette tempête
et pourra-t-elle se présenter au départ du Tour 1999? C'est l'un des enjeux de cette
opération «mollets propres» lancée dans le peloton.
D'autant qu'une nouvelle affaire a envenimé la seconde semaine de
course. Le 9 mars dernier, 104 doses d'EPO avaient été saisies au péage autoroutier de
Courcy (Marne) dans une camionnette de l'équipe néerlandaise TVM. La découverte en
plein Tour de France d'autres produits dopants et masquants à l'hôtel des TVM à Pamiers
(Ariège) a entraîné la garde à vue de leur directeur sportif, Cees Priem, et de leur
médecin, le Russe Andreï Mihaïlov. Tous deux ont été mis en examen le 28 juillet par
la juge Odile Madrolle.
Pourtant, pendant les affaires, la course continue. Le peloton ne
comprend pas que l'on puisse se poser tant de questions. L'habitude du dopage,
profondément ancrée dans l'histoire du cyclisme, a gommé en son sein toute notion de
faute: le coupable est non pas celui qui se dope, mais celui qui a la faiblesse de se
faire prendre. C'est donc vers les médias - ou, plus précisément, «une certaine
presse», coupable à leurs yeux de donner dans le fait divers plutôt que de chanter les
louanges des héros de la Grande Boucle - que s'est portée la colère des coureurs. Un
reportage diffusé au 20 Heures de France 2 - pourtant partenaire du Tour - et révélant
la présence de produits dopants dans les poubelles de la formation italienne Asics, a
cristallisé le mécontentement de la caravane sur la chaîne publique.
Le 24 juillet, au départ de la douzième étape, à
Tarascon-sur-Ariège, les coureurs ont donc mis pied à terre à l'instigation du
«patron» du peloton, le Français Laurent Jalabert, lassés, a dit celui-ci, d'être
considérés «comme du bétail». En revanche, les aveux des membres de l'équipe Festina
et la saisie de produits dopants à l'hôtel de l'équipe TVM n'ont soulevé aucune
réaction.
Après quelques heures de suspense où l'on a eu le sentiment de
frôler le pire - l'arrêt pur et simple du Tour - les dirigeants de la Société du Tour
ont pu respirer. Le patron de la Fédération française de cyclisme, Daniel Baal, a
pourtant dû se déplacer et promettre aux coureurs de les associer aux réformes
nécessaires et, sans doute, au grand déballage qui ne manqueront pas de suivre le Tour.
A la panique des premiers jours (on raconte qu'après l'arrestation du masseur des Festina
des mallettes entières de produits suspects ont été passées par-dessus bord, lors du
transfert en ferry des coureurs d'Irlande en France) a donc succédé une situation
d'attente fataliste. Attendre l'automne pour provoquer ces fameux «états généraux» du
cyclisme. Attendre que la course en finisse. Car l'on n'arrête pas le Tour de France.
Mais pourra-t-on arrêter le dopage?
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