La roue tourne
par  Christophe Barbier
L'Express du 30/07/1998

   La glorieuse incertitude du sport, c'est qu'on ne sait jamais quelle discipline sera demain victime de l'opprobre. Il y a trois ans, le football était pratiqué par des demi-truands assoiffés d'argent, vaniteux et dépourvus de tout sentiment national. Aujourd'hui, Coupe du monde oblige, les «footeux» sont des garçons humbles et travailleurs, qui luttent contre le Front national et gagnent le Mondial parce qu'ils sont payés pour ça. Côté vélo, en revanche, on est passé des anges pédaleurs, héros tragiques du bitume, à des toxico-mytho-mégalomanes, plus doués pour se sous-cutaner que pour se surpasser.     Longtemps les tatamis ont accueilli des êtres zen, respectant tellement l'adversaire qu'ils s'excusaient de le battre; et puis, patatras! une dose de nandrolone prouve que le judo ne se pratique pas avec du jus d'eau dans les veines. Demain, qui sait? un joueur de pétanque sera contrôlé positif à autre chose qu'au pastis, un pratiquant de curling s'inoculera la maladie de Parkinson pour balayer plus vite, un cheval de polo mourra d'overdose dans un pâturage du Ventoux, comme Tom Simpson, et les cendriers des joueurs de bridge déborderont de seringues.

    Si aucun sport n'est à l'abri, l'oubli chasse la honte, et la roue tourne, même pour le vélo. Ainsi, dans quelques années, c'est sous les vivats que le vainqueur du nouveau Tour de France arrivera en jaune aux Champs-Elysées, à la tête d'un peloton où personne ne se sera dopé durant les 12 étapes de 35 kilomètres chacune, avec deux jours de repos par semaine, comme tous les travailleurs, et La Chaux-de-Fonds en guise de point culminant de la course, l'emploi d'un petit moteur étant autorisé en côte. Ce vainqueur propre pourra être fier. Il s'appellera Ben Johnson.

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