DOPAGE
Un entraineur est-allemand raconte

VSD de décembre 1997

Une soixantaine de médecins et de dirigeants sportifs vont être jugés à Berlin. A la veille de ce procès historique, Eberhard Mund dévoile les pratiques de son pays pour faire gagner ses athlètes.

   Eberhard Mund livre avec certaines réticences son passé, au moment où va s'ouvrir à Berlin le procès de ses ex-confrères. S'il finit par reconnaître des pratiques de dopage en équipe nationale au sein de Dynamo de Berlin, dont il fut l'un des entraîneurs pour la section aviron. C'est en relativisant sa position, "pas si élevée qu'on pourrait le croire", dit il, dans le système de décision, et en soulignant l'étroite surveillance à laquelle chacun était soumis dans le régime est-allemand.
    Ainsi se défend-il : "j'étais convaincu que le recours au dopage ne nous aidait pas du tout. Mais nous n'avions pas le choix. Lorsque des médecins ou des dirigeant du ministère des sports venaient au club, ils insistaient pour que nous appliquions les programmes définis en haut lieu. Je laissais les rameurs devant leurs responsabilités. Ils étaient assez grands pour décider. Certains jetaient les pastilles bleues de Turinabol (anabolisant) dans les toilettes."

    Il n'empêche. Eberhard Mund a beau tenter de justifier son comportement, l'ancien entraîneur enregistré à la Stasi sous le registre 1424/80 connaissait forcément l'existence des programmes de dopage qui concernaient également sa discipline. Classé "Confidentiel d'accès réservé" par les autorités est-allemandes, un document relate les actes d'un colloque organisé au début des années quatre-vingt. Les intervenants s'intéressaient aux résultats des travaux d'un groupe de recherche intitulés : "Réserve complémentaire de puissance". Ce document le prouve : entre le 3 et le 14 janvier 1980, six rameurs de niveau international ont reçu des injections, sur ordonnance médicale, de citrate de clomifène (substance anabolisante) afin d'expérimenter l'efficacité d'un tel traitement. L'expérience a été renouvelée entre les 20 et 25 avril et le 20 mai 1981, une étude pilote a été menée sur douze autres rameurs, en vue de la préparation des championnats du monde qui se sont déroulés du 1er au 16 août 1981.
Or, durant cette période, de 1980 à 1982, le curriculum vitae d'Eberhard Mund, publié par la revue de la Fédération Française d'aviron, mentionne : "entraîneur du quatre de couple champion olympique à Moscou en 1980, et chef d'équipe hommes RDA pour la période 1981-1982". De plus, toujours sur la même période, un rapport scientifique, rédigé en RDA en 1981 par un éminent spécialiste, le docteur Schäker, intitulé : "utilisation des stéroides lors de l'entraînement et en expérimentation animale...", décrit "des recherches sérieuses entreprises sur vingt-cinq rameurs" en vue de tester ce type de produits (les stéroides) sur les champions. Enfin un autre rapport, datant de 1980, élaboré par l'institut de recherche de culture physique et des sports de RDA, indique : "on a réalisé une étude expérimentale comportant la totalité de l'équipe nationale de rameurs de sexe masculin ".
Toutes ces pratiques s'inscrivaient dans une politique générale en matière de sport, décidée au plus haut niveau de l'Etat est-allemand. C'est au début des années soixante-dix que le gouvernement de RDA lance, en coordination avec la fédération est-allemande de gymnastique, un programme codé sous le nom de "Staatsplanthema 14.25". Durant presque 20 ans, ce programme qui vise à améliorer la performance sportive par l'usage de produits dopants et à échapper au système des contrôles internationaux, demeurera secret d'Etat. Contenu dans des dossiers retrouvés en 1990 dans une caserne de l'armée est-allemande à Bad-Saarow, ce programme a été révélé par le Dr Werner Francke, biologiste allemand chargé à cette époque d'une mission d'évaluation des anciens instituts de science de l'ex-RDA.

    Ce document est accablant. Plusieurs milliers de sportifs de haut niveau du pays (entre deux et trois mille probablement), ont absorbé des produits dopants de plein gré, ou à leur insu, par voie orale ou par injections, parfois les deux. Tous les acteurs du sports à ceux des fédérations et des grands clubs, les médecins, les entraîneurs, ainsi que les sportifs ont été obligés de se soumettre à ce programme. Les athlètes qui refusaient les traitements voyaient leur carrière immédiatement interrompue ; les entraîneurs qui ne voulaient pas se plier à ce système perdaient leur travail. Eberhard Mund le confirme : "nous étions surveillés par la Stasi. Au sein même des clubs, il y avait des champions qui appartenaient à la Stasi. J'ai été obligé de faire un rapport sur les rameurs et de les surveiller lors des déplacements à l'étranger."

    Huit ans après la chute du mur, responsables des équipes de l'ex RDA, médecins et entraîneurs poursuivent pour la plupart leur carrière "d'éducateur" sportif au sein des fédérations d'outre-rhin. Comme Eberhard Mund, plusieurs entraîneurs ont été recrutés par des fédérations étrangères. Ainsi, Wolfgang Richter, chef des entraîneurs nationaux de natation dans les années quatre-vingt, est actuellement en Espagne. Parmi les anciens camarades de Mund à la section aviron du Dynamo de Berlin, un est en Angleterre, un autre aux Etat-Unis, trois en Australie, deux en Autriche, un aux Pays-Bas.
Sous l'impulsion du Dr Francke, de son épouse, l'ancienne championne Brigitte Berendonck, et de quelques anciens champions, la justice allemande commence à instruire les dossiers. Pendant ce temps, loin de Berlin, Eberhard Mund poursuit sa mission.

(Article paru dans la revu VSD de décembre 1997)

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