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Témoignage d'un cycliste / Les produits en cause
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Dimanche 26 juillet 1998

Gérard Nicolet, médecin, membre de la FFC

" On s'habituait à quelque chose d'anormal "

  Propos recueillis par Benoît Hopquin

Médecin du sport, élu au comité directeur de la Fédération française de cyclisme (FFC), Gérard Nicolet est dans le peloton depuis dix-huit ans et a participé à douze Tours de France.

" Pourquoi éprouvez-vous le besoin de tirer le signal d'alarme ? - En tant que médecin du sport, je ne peux que m'interroger sur mon rôle. Je vois passer régulièrement des coureurs dans mon cabinet. J'ai un devoir de secret professionnel. Mais j'ai également un devoir de santé publique. Je me dois de protéger les athlètes. Or nous assistons à une dérive collective.

- Voulez-vous dire que le dopage s'étend gravement ? - L'erythropoïétine (EPO) modifie profondément la performance. Ces deux ou trois dernières années, on allait dans le mur. Les coureurs n'avaient plus le choix et on s'approchait du " tous dopés ", qui est l'idée populaire. Plus grave, on s'habituait à quelque chose d'anormal.

- L'EPO est-il toujours le principal produit utilisé ?

- Depuis quelques mois, dans mon cabinet, j'ai été amené à constater l'arrivée de dopants de plus en plus redoutables. L'EPO est malheureusement devenu classique. Mais d'autres produits plus dangereux encore, comme le PFC (le perfluorocarbone), arrivent, qui transitent par d'invraisemblables filières. Les coureurs se les procurent par des voies non médicales, donc sans le moindre encadrement dans leur emploi. Or, ces produits en sont encore au stade expérimental dans les hôpitaux. Nous ne savons même pas quels peuvent en être les effets secondaires.

- Voulez-vous dire qu'ils prennent des risques qu'ils payeront à la fin de leur carrière ?

- Le PFC, de la façon dont il est utilisé actuellement, ce n'est plus à quarante ans que les coureurs vont en subir les effets. Le danger est immédiat, dans la pratique même du sport.

- Comment jugez-vous ce qui se passe actuellement sur le Tour de France ?

- Nous n'avons pas su répondre au problème du dopage autrement que par ce coup d'arrêt brutal. Depuis des mois, nous organisons des réunions sur le sujet. Je rameute autour de moi, mais, visiblement, les gens sont peu motivés. Cette affaire aura au moins le mérite d'alerter. Mais, en tant que médecin, je dirais que nous n'en sommes là qu'au stade du diagnostic. Il va maintenant falloir passer à la phase du traitement.

- Justement, comment lutter contre le dopage ? - Depuis plusieurs mois, autour d'Armand Mégret, le responsable de la commission médicale, nous travaillons sur le dossier au sein de la Fédération française de cyclisme (FFC). Il y a un véritable débat qui s'est installé dans le milieu médical cycliste. L'idée maîtresse est de relancer le suivi. Les médecins doivent avoir accès aux différentes données sur le coureur. Le sportif est le dernier maillon de la chaîne de la performance. Beaucoup de gens sont responsables, mais seuls les coureurs sont victimes. C'est tout l'environnement qui doit se remettre en question. Un coureur doit encore pouvoir exprimer sa valeur sans le dopage. "


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